† BARTHOLOMAIOS
Par la grâce de Dieu Archevêque de Constantinople,
Nouvelle Rome, et Patriarche œcuménique,
à tout le plérôme de l’église
grâce, miséricorde et paix du Christ Sauveur né à Bethléem
* * *
Vénérables frères et enfants bien-aimés en Christ,
Accompagnant la toute-Sainte Vierge qui vient «mettre au monde» le Verbe éternel, et le regard tourné vers Bethléem qui se prépare à recevoir le Divin Enfant, nous voici arrivés une fois encore à Noël, remplis de sentiments de gratitude envers le Dieu de l’amour. Cette année, la marche vers la solennité de la Nativité selon la chair du Sauveur du monde était différente quant aux conditions extérieures, en raison de la pandémie qui sévit. Et la vie ecclésiastique, la participation des croyants aux saints offices, la sollicitude pastorale et le bon témoignage dans le monde ont subi les conséquences des mesures sanitaires. Tout ceci ne concerne pas cependant la relation très intime des chrétiens avec le Christ, avec la foi en Sa providence et avec le dévouement à la «seule chose qui est nécessaire»[1].
Dans les sociétés sécularisées, Noël fut affadi, devenu une fête de consommation ostentatoire et de mondanité, sans l’ombre d’un doute que ce saint jour nous vénérons l’Incarnation divine «qui demeure toujours un mystère»[2]. La façon chrétienne de fêter Noël est aujourd’hui un acte de résistance à la sécularisation de la vie et à l’affaiblissement, voire à l’effacement du sentiment du mystère.
Dans l’incarnation du Verbe sont révélés le fonds, l’orientation et le but de l’existence humaine. Le Dieu parfait en tout existe en tant qu’être humain parfait, pour que nous puissions exister «à la manière de Dieu». «Car Dieu s’est lui-même fait homme, pour que nous soyons faits Dieu»[3]. Selon la profonde affirmation de saint Grégoire le Théologien, l’humain est «appelé à être Dieu»[4], «un être vivant divinisé»[5]. C’est cet honneur suprême fait à l’humain qui donne à son existence une valeur insurpassable. En Christ, tous les êtres humains sont appelés au salut. Devant Dieu, «il n’y a plus ni Juif, ni Grec ; il n’y a plus ni esclave, ni homme libre ; il n’y a plus l’homme et la femme ; car tous, vous n’êtes qu’un en Jésus Christ», selon la théologie divinement inspirée de l’apôtre Paul[6]. Il s’agit d’un renversement déterminant dans le domaine de l’anthropologie, dans la hiérarchisation des valeurs, dans la façon de considérer l’ethos. Depuis, celui qui porte atteinte à l’être humain se retourne contre Dieu. «Or, rien n’est plus sacré que l’homme dont Dieu a partagé même la nature»[7].
Noël c’est toute la vie divino-humaine de l’Église en laquelle Christ est perpétuellement vécu comme Celui Qui fut, Qui est et Qui vient. «Celui qu’une Mère tient dans ses bras» est «celui qui repose dans le sein paternel»; l’enfant Jésus est celui qui fut crucifié, qui ressuscita et qui monta en gloire au ciel, le juge juste et le Roi de gloire. Dans des psaumes et des hymnes, nous rendons gloire à cet indicible mystère; nous en sommes les serviteurs, tout en y étant servis. C’est la définition dogmatique, divinement inspirée du IVe concile œcuménique célébré à Chalcédoine, formulée «suivant les saints Pères». C’est ce «dogme de Chalcédoine», la façon dont le Verbe de Dieu assuma la chair du monde, au-dessus de toute raison et de tout sens, que «chante» la basilique Sainte-Sophie dans la Reine des Villes, fierté de l’orthodoxie et gloire de l’univers, à travers l’expression architecturale, l’organisation du sanctuaire, le magnifique dôme – représentant la divine philanthropie qui unit tout, qui rattache les choses célestes et les choses terrestres –, par les icônes, le décor et le langage théologique unique de la lumière éblouissante inondant l’espace.
Au milieu d’une multitude de difficultés et de douleurs, résonne encore la voix mélodieuse de l’«ange du Seigneur» qui vient nous «annoncer une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple : Il nous est né aujourd’hui un Sauveur, qui est le Christ Seigneur»[8]. Nous fêtons Noël, en priant pour nos frères accablés de dangers et de maladies. Nous admirons l’abnégation des médecins, des soignants et de tous ceux qui s’efforcent de juguler la pandémie. Nous nous réjouissons en constatant qu’ils abordent le malade comme une personne sacrée, et non pas comme un chiffre, un cas, un objet, une unité biologique impersonnelle. On a pertinemment qualifié la «blouse blanche» des médecins de «soutane blanche» qui exprime le renoncement à soi-même au profit du frère, l’idée «que nul ne cherche son propre intérêt, mais celui d’autrui»[9], le dévouement total au souffrant. Étant toutes deux un symbole de sacrifice et d’esprit de service, la «soutane blanche» et la «blouse blanche» ont l’amour pour inspiration et force motrice, qui est toujours un don de la grâce divine et qui n’est jamais exclusivement notre propre exploit.
La dangereuse pandémie secoua plusieurs idées préconçues, révéla les limites du titanisme de l’«homme-dieu» contemporain et prouva la puissance de la solidarité. Outre la vérité indubitable que notre monde constitue une unité, que nos problèmes sont communs et que pour les résoudre, il faut de notre part une démarche et une action commune, cette crise révéla éminemment la valeur que représente la contribution personnelle, l’amour du Bon Samaritain qui surpasse la mesure humaine. L’Église soutient activement, en parole et en acte, les frères éprouvés ; elle prie pour qu’eux-mêmes, leurs parents et les responsables des soins soient affermis, tout en proclamant que la guérison du malade, en tant que victoire provisoire sur la mort, évoque la vérité que celle-ci sera surmontée et définitivement abolie en Christ.
Malheureusement, la crise sanitaire n’a pas permis de développer les actions prévues pour 2020 : «année de renouveau pastoral et de due sollicitude envers la jeunesse». Nous espérons que l’an prochain, il sera possible de réaliser les manifestations planifiées pour la jeunesse. Nous savons d’expérience qu’à condition que les jeunes soient approchés avec compréhension et amour, ils révèlent leurs forces créatives et participent aux événements avec enthousiasme. En fin de compte, la jeunesse est une période particulièrement «religieuse» de la vie humaine, avec des rêves, des visions et de profondes quêtes existentielles, avec l’espérance vivante d’un nouveau monde de fraternité. C’est cette «nouvelle création»[10], «des cieux nouveaux et une terre nouvelle où la justice habite»[11] que l’Église du Christ annonce et représente dans le progrès vers les fins dernières.
Chers frères et enfants bien-aimés,
Dans l’Église, l’être humain est tout entier renouvelé ; il n’est pas simplement «aidé», mais il «existe dans la vérité», il vit sa destination en Dieu. Comme le saint et grand Concile l’a proclamé, dans l’Église «chaque homme est une entité unique destinée à communier personnellement avec Dieu»[12]. Nous avons l’assurance donnée par Dieu que la vie présente n’est pas notre vie entière, que le mal et les adversités n’ont pas le dernier mot dans l’histoire. Notre Sauveur n’est pas un deus ex machina qui intervient et fait disparaître les maux, tout en abolissant notre liberté, comme si elle serait une «condamnation» dont il faut se débarrasser. Pour nous les chrétiens vaut l’incomparable maxime patristique: «Car le mystère du salut appartient à ceux qui le choisissent librement, non à ceux qui sont contraints par la force»[13]. La vérité de la liberté en Christ est éprouvée par la Croix qui est le chemin vers la Résurrection.
Dans cet esprit, fêtant avec vous tous Noël et la période de douze jours jusqu’à la Théophanie dans un sentiment agréable à Dieu, nous souhaitons du Phanar, notre centre sacré, que le Sauveur qui, dans sa condescendance, s’est fait homme par amour pour le genre humain, vous dispense santé, amour des uns pour les autres, progrès dans toute œuvre de bien et toute bénédiction d’en haut, à l’aube du nouvel An et toute votre vie durant. Ainsi soit-il!
Noël 2020
† Bartholomaios de Constantinople
fervent intercesseur de vous tous en Dieu
[1] Cf. Lc 10, 42.
[2] Maxime le Confesseur, Divers chapitres théologiques et économiques sur la vertu et le vice, première centaine, XII, PG 90, 1184.
[3] Athanase d’Alexandrie, Sur l’incarnation du Verbe, SC 199, Paris 1973, p. 549.
[4] Grégoire de Nazianze, Discours 43, 48-49 Pour le grand Basile oraison funèbre, PG 36, 560, SC 384, Paris 1992, p. 229.
[5] Grégoire de Nazianze, Discours 45, In Sanctum Pascha, PG 36, 632.
[6] Ga 3, 28.
[7] Nicolas Cabasilas, La vie en Christ VI, 22, PG 150, 649, SC 161, p. 57.
[8] Cf. Lc 2, 9-11.
[9] I Co 10, 24.
[10] II Co 5, 17.
[11] II P 3, 13.
[12] Encyclique § 12.
[13] Maxime le Confesseur, Exposé sur la prière du Seigneur, PG 90, 880.