Son Eminence le Métropolite Emmanuel de France a participé à la conférence de deux jours de la Conférence des Eglises Européennes (CEC) sur « Espoir pour la société: 1920-2020 ». Cette dernière s’est déroulée en ligne, en raison de la pandémie, et s’est terminée cet après-midi. Le Métropolite de France était dans le passé vice-président et président de la CEC.
Entre autres, aon Eminence dans son discours en anglais a souligné:
« Je crois que les échanges de ces deux derniers jours ont montré non seulement la qualité d’un excellent contexte théologique et historique, mais aussi l’importance du dialogue œcuménique aujourd’hui […].
Après la Première Guerre mondiale, les horreurs des massacres ont laissé de profondes cicatrices dans une Europe qui, au tournant du siècle, était devenue assoifée de sang. Les vainqueurs et les vaincus ont été également victimes d’une force militaire dont nous ne pouvons plus appréhender l’ampleur, une guerre mondiale et totale.
Le christianisme a été abasourdi par la barbarie de cette époque. Le monde orthodoxe avait été particulièrement exposé à cette explosion de haine, tandis que l’Europe du Sud-Est n’avait pas encore achevé sa transformation en États-nations. La révolution communiste de 1917 a annoncé une période de persécution contre le christianisme jamais vue auparavant dans l’histoire de l’humanité. La guerre gréco-turque (1919-1922) a préparé le terrain à la «grande catastrophe» de l’échange de populations entre la Grèce et la Turquie. Cependant, au milieu de ces tumultes et de ces violences incroyables, la publication de l’Encyclique patriarcale et synodale de 1920 est apparue comme un signe d’espoir, de résilience et une réponse aux défis et opportunités d’une autre époque, d’un siècle, si proche de nous, et en même temps si loin de notre compréhension. Sur le fond et la forme, ce texte diffère profondément de l’Encyclique des Patriarches d’Orient de 1848. Il ne s’agissait plus, comme au XIXe siècle, de répondre aux revendications universelles de la papauté, mais plutôt d’apporter une réponse durable, conformément à l’Évangile, à la division des chrétiens. Le mouvement œcuménique commençait. Le message qui sous-tend l’encyclique peut nous paraître aujourd’hui évident, mais à cette époque le manque d’unité entre les Églises chrétiennes nourrissait les tentations des États. La recherche d’un consensus théologique était devenu un moyen de promouvoir l’unité et la communion. Il est essentiel de se souvenir qu’au XXe siècle, le défi de la division est devenu une opportunité pour l’unité des chrétiens ainsi que pour la paix…
Aujourd’hui, un siècle plus tard, nous sommes appelés à réfléchir aux défis et opportunités auxquels le christianisme doit faire face pour conserver une voix prophétique dans un monde influencé par la post-modernité, la sécularisation et la transformation de la notion même de relation en tant que société et en tant que réalité de communion. Mais avant d’aborder cette question, permettez-moi de réfléchir au principe du «dialogue», qui est également un signe de la civilisation mondiale d’aujourd’hui…
Le dialogue est une mission divine dont l’humanité ne peut être séparée, car le dialogue unit. Il doit donc être compris comme quelque chose de différent de la négociation, du débat, de la confrontation, de l’invective, de l’enseignement, etc. Il est le coeur même de la coexistence. Le dialogue apparaît comme une tension paradoxale entre coexistence et exposition au maximum de diversité pour paraphraser Claude Lévi-Strauss.
Le dialogue compris comme moyen de conversion perd de son efficacité. Mais quand il devient transformateur, il prend toute son intensité. Le dialogue permet de combattre les préjugés. Même Platon a écrit ses textes sous forme de dialogue, car la transmission de la sagesse a besoin de l’altérité. Il décloisonne. Il connecte. Le dialogue jette des ponts entre les Eglises et renforce le désir et la quête d’unité dans la communion. Le dialogue devient un principe inclusif auquel nos Églises sont appelées à contribuer sur la scène mondiale.
Le récent document béni par le Patriarcat œcuménique intitulé Pour la vie du monde: vers un éthos social de l’Église orthodoxe (2020) écrit : «Le dialogue, dans la compréhension orthodoxe, est essentiellement et primordialement le reflet du dialogue entre Dieu et l’humanité : il est initié par Dieu et conduit à travers le Logos divin (dia-logos), notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ. Dans toute la vie humaine, le dialogue prend place dans toutes nos rencontres, personnelles, sociales ou politiques, et doit toujours s’étendre à ceux qui adhèrent à des religions différentes de la nôtre. Et dans toutes nos connexions et relations, la Parole de Dieu est mystiquement présente, guidant toujours notre échange de paroles et d’idées vers une union spirituelle des cœurs en lui. (Pour la vie du monde, paragraphe 54)
A la fin de son intervention, le Métropolite de conclure:
« Le dialogue porte ses fruits dans la coexistence pacifique de personnes de cultures et de traditions différentes. Cela n’est peut-être pas perçu dans les pays européens où la religion est uniforme, mais dans les pays d’Europe occidentale, où coexistent des personnes du monde entier, le besoin de respect mutuel, de solidarité et d’amour est évident. Le Conseil des Eglises européennes a apporté une contribution significative dans cette direction. Le Conseil œcuménique des Eglises a également contribué au développement du progrès et à la construction de ponts entre les deux côtés de l’Europe. Nous n’oublions pas l’engagement du bienheureux Pape Jean-Paul II pour la paix, en particulier lors de la première rencontre à Assise en 1986. C’était la première rencontre interconfessionnelle de cette envergure. La même année, les Nations Unies ont déclaré 1986 «Année internationale de la paix» à un moment où l’opposition Est-Ouest polarisait encore la planète et où la guerre au Liban se poursuivait.
Cent ans plus tard, alors que nous poursuivons cette rencontre, laissons le dernier mot à la prière, cette forme absolue de dialogue, laissons-nous à la grâce d’un Dieu aimant, et faisons du mystère de la communion l’horizon de notre unité. »